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CHU de Québec - Université Laval c. Theodore Azuelos consultants en technologie (TACT) inc., 2022 QCCA 981 (CanLII)

Date :
2022-07-12
Numéro de dossier :
200-09-010192-208
Référence :
CHU de Québec - Université Laval c. Theodore Azuelos consultants en technologie (TACT) inc., 2022 QCCA 981 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jqxdf>, consulté le 2024-03-29

CHU de Québec - Université Laval c. Theodore Azuelos consultants en technologie (TACT) inc.

2022 QCCA 981

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-010192-208

(200-17-024467-169)

 

DATE :

 12 juillet 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

CHU DE QUÉBECUNIVERSITÉ LAVAL

AppelantE – défenderesse et demanderesse reconventionnelle

c.

 

THEODORE AZUELOS CONSULTANTS EN TECHNOLOGIE (TACT) INC.

intiméE – demanderesse et défenderesse reconventionnelle

 

 

ARRÊT

 

 

[1]         L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 8 juin 2020 par l’honorable Bernard Tremblay, de la Cour supérieure, district de Québec, lequel conclut qu’elle a résilié sans droit le contrat intervenu avec l’intimée pour la numérisation massive de dossiers hospitaliers et la condamne à payer 1 713 150,50 $. Le juge accueille également en partie la demande reconventionnelle de l’appelante en condamnant l’intimée à payer une pénalité journalière prévue dans le contrat et à rembourser certaines sommes qui lui ont été payées en trop[1]. Ces montants totalisent 90 472,67 $. Après compensation, l’appelante doit donc verser 1 622 677,83 $ à l’intimée.

[2]         Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis de rejeter l’appel.

LE CONTEXTE:

[3]         En 2011, l’appelante décide d’entreprendre la numérisation massive des dossiers médicaux des cinq centres hospitaliers de la région de Québec dont elle assure la gestion. Elle estime être en mesure d’autofinancer ce projet par l’attrition, sur quelques années, d’un certain nombre de postes d’archivistes.

[4]         Au terme d’un processus d’appel d’offres, elle octroie un premier contrat pour la numérisation des dossiers actifs (« Contrat H-13 ») à la société Iron Mountain (« IM »). Ces dossiers sont ceux de patients qui se présentent régulièrement à l’hôpital. Le projet vise la numérisation de 128 millions d’images. Le processus mis en place prévoit une procédure relative aux demandes urgentes afin de permettre aux hôpitaux d’avoir accès en 30 minutes à un dossier qui est en cours de traitement par le prestataire de services. Après certains ajustements aux procédures en début de contrat, IM procède à la numérisation des dossiers actifs, ce qui représente environ 68 millions d’images. Au terme du processus, un avenant est signé afin d’exclure du contrat le volume d’images non numérisées et de le conserver en réserve pour des besoins futurs.

[5]         L’appelante lance un nouvel appel d’offres en 2015 visant cette fois-ci la numérisation de 98 millions d’images tirées des dossiers inactifs en provenance de trois hôpitaux (« Contrat H-15 »). Plusieurs de ces dossiers concernent des patients décédés. La numérisation doit être complétée dans les délais spécifiés pour chaque hôpital. L’appel d’offres est calqué sur le contrat H-13, incluant la procédure devant être suivie lors de demandes urgentes d’obtention des dossiers.

[6]         Le contrat est adjugé à l’intimée le 20 août 2015 après la tenue d’une réunion « pré-adjudication » visant à préciser les attentes des parties. Comme cela avait été le cas préalablement à l’exécution du Contrat H-13, l’intimée doit d’abord mobiliser son personnel et son équipement. Elle réalise certains tests préliminaires afin de s’assurer que ses systèmes sont compatibles avec ceux de l’appelante. Une fois cette étape complétée, elle débute la mise en production le 9 décembre 2015.

[7]         Des irritants surviennent dès les premières semaines. L’appelante identifie certains problèmes quant à la qualité de la numérisation : coins pliés, endos vierges, etc. Elle renforce donc son processus de contrôle de qualité, ce qui se traduit par une réduction de la cadence de production de l’intimée. Elle est également insatisfaite du temps de réponse aux demandes urgentes. De façon plus générale, la compréhension des obligations prévues dans le contrat et les attentes respectives des parties divergent. Il semble évident que certains ajustements sont requis de part et d’autre.

[8]         Le 29 décembre 2015, l’appelante convie l’intimée à une réunion prévue au début janvier. L’objectif est de discuter de ces irritants et de convenir d’un plan d’action comportant des dates fermes afin d’assurer le respect des échéanciers. L’appelante doute de la capacité de l’intimée à respecter la cadence de numérisation tout en livrant un produit de qualité.

[9]         Comme déjà mentionné, elle est également insatisfaite du traitement des demandes urgentes. Le contrat prévoit que l’intimée doit, à la réception d’une demande urgente d’un dossier médical qu’elle a en sa possession aux fins de le numériser, en transmettre une copie par télécopieur à l’intérieur d’un délai maximal de 30 minutes. L’appelante considère que l’intimée ne répond pas à ces demandes conformément aux exigences contractuelles. Elle exige que l’intimée lui transmette uniquement les extraits pertinents du dossier patient par télécopieur, et qu’elle le fasse dans le délai prescrit. L’intimée estime pour sa part que ses employés ne possèdent pas les qualifications requises pour identifier les extraits dans des dossiers médicaux parfois fort volumineux. Elle s’inquiète des conséquences potentielles d’une erreur et suggère plutôt d’acheminer l’entièreté du dossier sur support numérique dans le délai contractuel prévu, ce qu’elle estime être en mesure de réaliser. Cette proposition ne reçoit pas l’aval de l’appelante.

[10]      Une rencontre a lieu entre les parties le 13 janvier 2016. Le lendemain, l’appelante transmet une lettre résumant leurs échanges. Des démarches additionnelles doivent être complétées en vue de proposer des solutions à certains des enjeux identifiés. L’appelante fixe, unilatéralement, une période de probation qui se terminera le 5 février 2016 et au cours de laquelle elle prévoit contrôler 100 % des images générées par l’intimée. Elle indique qu’elle prendra une décision quant à la poursuite du contrat au terme de cet exercice.

[11]      Le 5 février 2016, l’appelante informe l’intimée, par lettre, qu’elle suspend l’exécution du contrat afin « de compléter l’analyse de la situation et établir quelle sera la suite ». Cette lettre ne précise pas les problèmes constatés au cours de la période de probation.

[12]      Le 7 février 2016, l’intimée réplique en soulignant que certaines difficultés vécues au cours de la période de probation sont imputables, en partie, à la nature des dossiers transmis et aux retards de l’équipe de contrôle de qualité. Ces difficultés l’empêchent de démontrer sa capacité d’exécuter ses obligations contractuelles.

[13]      Le 11 février 2016, l’appelante résilie le contrat avec effet immédiat. Dans sa lettre, qu’elle qualifie d’avis de résiliation, elle dénonce pour la première fois par écrit ses récriminations eu égard : (1) à la volumétrie, (2) à la qualité de la numérisation et (3) au service d’urgence. 

[14]      À la suite de la résiliation, le contrat de numérisation des dossiers inactifs est accordé à IM.

LE JUGEMENT ENTREPRIS

[15]      Le juge de première instance, dans un jugement détaillé, conclut que la résiliation du contrat est illégale puisque l’appelante a omis de transmettre le préavis requis contractuellement[2]. Il estime que la lettre du 14 janvier 2016 ne peut être assimilée à un tel préavis puisque celle-ci se limite à résumer la teneur de la réunion de la veille et à énumérer les éléments de mésentente sans préciser les manquements reprochés. Bien qu’il y soit question d’une période de probation, l’appelante n’indique pas clairement quelles sont ses attentes au terme de celle-ci et n’identifie pas les correctifs devant être apportés en fonction des solutions discutées. Elle évoque simplement, parmi d’autres hypothèses, la possibilité d’une fin de contrat[3].

[16]      La lettre du 5 février 2016 suspendant l’exécution du contrat, sans préciser les motifs, ne peut davantage être assimilée à un préavis de résiliation. Encore une fois, l’appelante n’exige pas que l’intimée remédie à quelque défaut que ce soit sous peine de résiliation. Le juge souligne, à juste titre, que la suspension du contrat empêchait d’ailleurs l’intimée d’apporter quelque correctif à ce stade[4].

[17]      En ce qui concerne la lettre du 11 février 2016, intitulée « avis de résiliation », le juge constate que l’appelante décrète la résiliation immédiate du contrat sans accorder quelque délai que ce soit à l’intimée pour s’amender. Elle ne peut donc, selon lui, constituer le préavis de résiliation requis contractuellement.

[18]      Dans ce contexte, il conclut que la résiliation était illégale puisque l’appelante n’a pas respecté la procédure convenue contractuellement et n’a pas davantage transmis de mise en demeure préalablement à la résiliation[5].

[19]      Il poursuit tout de même son analyse et s’attarde sur le contexte entourant la résiliation du contrat et sur le comportement des parties. Il examine d’abord les trois motifs invoqués par l’appelante pour résilier le contrat. Il estime que les exigences contractuelles sur le plan de la qualité de la numérisation ne sont pas clairement énoncées dans les documents contractuels et qu’elles n’ont pas été prouvées autrement lors de l’audience[6]. Il ajoute qu’au moment de la résiliation, les parties étaient encore en période d’apprentissage dans le domaine, relativement nouveau à l’époque, de la numérisation massive de dossiers patients[7]. Par ailleurs, les problèmes de qualité n’ont pas tous le même impact et ne semblent pas avoir l’ampleur décrite par l’appelante. Celle‑ci base son calcul sur le pourcentage de dossiers où elle note une erreur alors que l’intimée évalue le pourcentage d’erreurs en fonction du nombre de pages numérisées. Le juge constate également une réduction du nombre d’anomalies notées entre la période de rodage et la courte période de production[8]. Il estime qu’en l’absence de spécifications claires dans le contrat, la qualité de la numérisation ne peut être retenue comme motif de résiliation[9].

[20]      Il écarte également l’argument voulant que l’intimée n’ait pas respecté la procédure relative aux demandes urgentes puisque l’article 1.7 du contrat ne permettait pas à l’appelante d’exiger de l’intimée que ses employés, qui n’ont aucune formation médicale, identifient les sections pertinentes d’un dossier avant de les transmettre dans le délai imparti, tout comme il ne permet pas d’exiger que l’information soit communiquée par télécopieur[10].

[21]      Le juge note que l’appelante appréhende que les délais fixés pour la numérisation des dossiers ne soient pas respectés[11]. Il souligne toutefois que le non-respect de la planification révisée, fournie sur une base volontaire par l’intimée dans le contexte des discussions entre les parties, ne peut, selon lui, justifier la résiliation du contrat à ce stade. L’appelante semble faire abstraction du fait que cette planification prévoit une certaine latitude afin de permettre de rattraper un éventuel retard ainsi que la possibilité d’augmenter la production à deux quarts de travail sur six jours si cela s’avérait nécessaire afin de respecter les dates butoirs prévues dans le contrat[12]. Les parties conviennent en janvier 2016 du volume de boîtes qui seront traitées pendant les semaines à venir. L’appelante savait que le volume planifié ne serait pas atteint durant la période de probation et elle avait également de son côté certaines contraintes au niveau de la mise en place de ses mesures de contrôle de qualité[13]. Le juge constate également que, dans le contrat octroyé à IM après la résiliation du Contrat H-15, les délais contractuels ont été modifiés et que l’ordre de priorité de la numérisation a été modulé en fonction des besoins de l’appelante. Dans les faits, à la suite de la résiliation du contrat, les travaux de numérisation ont été exécutés avec 15 mois de retard sur la date initialement indiquée dans l’entente avec l’intimée[14].

[22]      Par ailleurs, dans l’hypothèse où l’appelante souhaiterait invoquer la résiliation de plein droit, le juge conclut que les conditions ne sont pas davantage respectées. Aucune mise en demeure n’a été transmise et le délai de deux semaines, dans le contexte des échanges ayant cours entre les parties, ne peut être qualifié de raisonnable[15]. Enfin, le juge estime que les défauts invoqués, si tant est qu’ils existent, n’ont pas la gravité requise pour permettre la résiliation extrajudiciaire du contrat[16].

LES MOYENS D’APPEL

[23]      L’appelante soutient que le juge a commis quatre erreurs justifiant l’intervention de la Cour :

a)   Il a erré en concluant que la lettre du 14 janvier 2016 ne respectait pas les exigences de la clause 13.03 b) du contrat;

b)   L’existence d’une procédure de résiliation n’exclut pas automatiquement la résiliation extrajudiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit;

c)   Il a erré en concluant à l’inexistence de normes contractuelles encadrant la qualité de la numérisation;

d)   Il a finalement erré en écartant les deux autres motifs de résiliation invoqués par l’appelante.

[24]      Par souci de clarté, les trois derniers moyens d’appel seront regroupés puisque la possibilité de demander la résiliation extrajudiciaire du contrat présuppose l’existence de manquements graves et répétitifs.

L’ANALYSE

a)   Le juge a erré en concluant que la lettre du 14 janvier 2016 ne respectait pas les exigences de la clause 13.03 du contrat.

[25]      L’appelante soutient que la procédure prévue à la clause 13.03 du contrat nécessite la transmission de deux lettres. Une première dénonçant les défauts afin de permettre à l’autre partie de les corriger et une seconde conférant un effet immédiat à la résiliation.

[26]      Elle estime que la lettre du 14 janvier 2016 dénonce les défauts et accorde près de deux semaines à l’intimée pour apporter les correctifs requis. La lettre du 11 février 2016, quant à elle, ne fait que constater que le contrat est résilié.

[27]      L’appelante doit démontrer que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante justifiant l’intervention de la Cour en analysant la teneur des lettres à la lumière des clauses du contrat et en concluant que la procédure décrite n’a pas été respectée.

[28]      Le contrat prévoit diverses modalités permettant aux parties de mettre fin au contrat. Elles peuvent le faire :

-      D’un commun accord;

-      Sans préavis en raison de divers problèmes liés à la solvabilité du prestataire de services ou si ses opérations sont interrompues, pour quelque motif que ce soit, pour une période d’au moins 7 jours consécutifs;

-      Avec préavis :

o   Si l’une des attestations du prestataire de services est fausse, inexacte ou trompeuse;

o   S’il ne respecte pas l’une des obligations du contrat et que tel défaut n’est pas corrigé dans les cinq (5) jour(s) suivants un avis écrit décrivant la violation ou le défaut;

o   Si le prestataire de services devient inadmissible aux contrats publics;

o   Sans motif moyennant un préavis de 30 jours.

[29]      L’appelante a choisi de ne pas se prévaloir de son droit de résilier le contrat sans motif moyennant un avis de 30 jours. Elle estime pouvoir résilier le contrat pour cause, puisque l’intimée ne respecte pas ses obligations contractuelles et qu’elle n’a pas corrigé les défauts invoqués dans le délai alloué. Ce motif de résiliation implique qu’elle devait transmettre à l’intimée un avis écrit suffisamment précis pour lui permettre de connaître la nature de la violation contractuelle invoquée afin qu’elle puisse apporter les correctifs requis dans le délai prescrit et ainsi éviter la résiliation d’un important contrat.

[30]      Le juge conclut, à juste titre, que même si la lettre du 14 janvier fait état du mécontentement de l’appelante et invoque la possibilité qu’elle mette fin au contrat, elle s’apparente davantage à un compte rendu des discussions ayant eu cours lors de la réunion tenue la veille qu’à une véritable mise en demeure. Elle n’identifie pas clairement les correctifs devant être apportés pendant la période de « probation » et s’inscrit dans un contexte où les parties tentent justement de clarifier la portée de leurs obligations contractuelles respectives.

[31]      La résiliation équivaut à la peine capitale en matière contractuelle. La partie en défaut a le droit de connaître précisément les reproches qui lui sont faits de façon à mettre en œuvre les mesures nécessaires pour y remédier.

[32]      L’auteur Vincent Karim écrit d’ailleurs :

Il appartient au créancier d’éviter toute ambiguïté et de s’assurer que le débiteur est en mesure de comprendre ce qu’il devra faire pour se conformer à sa demande. Le but de la mise en demeure est de donner à ce dernier une juste chance de se conformer à son obligation. Le créancier qui envoie une lettre à son débiteur contenant une liste non exhaustive des défauts reprochés ou des problèmes résultant de l’exécution de son contrat en lui accordant un court délai pour y remédier risque de voir sa mise en demeure considérée invalide par le tribunal ou assimilée à une absence de mise en demeure. Il en est de même lorsque les termes utilisés dans l’avis sont imprécis, sujets à discussion et qu’il est impossible que le débiteur puisse comprendre ce qui lui est reproché par le créancier. Dans ce cas, les conditions de la validité de la mise en demeure ne sont pas rencontrées puisque l’avis doit-être complet et inclure un délai raisonnable afin de permettre au débiteur de remédier à défauts.[17]

[33]      Ici, la relation contractuelle ne fait que débuter. Comme cela avait été le cas pour le Contrat H-13, certains ajustements sont requis de part et d’autre. Il s’agit d’un des premiers contrats de numérisation massive dans le domaine hospitalier. L’intimée doit s’assurer de la compatibilité de ses équipements avec les systèmes de l’appelante et en fonction des documents à numériser. Les dossiers comportent des originaux de divers formats conservés dans des états variables. Il peut s’agir de notes manuscrites, de formulaires sur papier carbone, de fac-similés, etc. Certains documents peuvent être partiellement pliés ou déchirés. Des dossiers patients comprennent des intrus, soit des informations classées par erreur – par les archivistes de l’appelante – dans de mauvais dossiers. Même si le contrat exige que la copie numérisée soit identique à la version papier, la compréhension des parties quant à la qualité d’images acceptable diverge. L’appelante s’appuie sur des normes qui selon elle devaient être respectées. Or, tel que le constate le juge de première instance, celles-ci ne font pas partie des documents contractuels. Les parties ne s’entendent pas davantage sur le traitement des demandes urgentes. L’appelante considère que l’intimée n’y donne pas suite dans les délais requis, alors que celle-ci estime que les exigences exprimées sont déraisonnables. Le contrat ne prévoit rien en ce qui a trait à la volumétrie exigée si ce n’est la date à laquelle les travaux devront être complétés.

[34]      En l’absence de disposition contractuelle précise en lien avec les manquements reprochés, l’appelante se devait d’identifier clairement les éléments à corriger avant de se prévaloir de la clause de résiliation. Elle ne l’a pas fait dans sa lettre du 14 janvier. Ce n’est que dans l’avis de résiliation qu’elle énonce certains reproches plus spécifiques. Le juge de première instance ne commet donc aucune erreur en concluant que la procédure prévue à l’article 13.03 b) n’a pas été respectée. L’appelante ne pouvait donc se prévaloir de cette clause pour justifier la résiliation du contrat.

b)   L’existence d’une procédure de résiliation n’exclut pas automatiquement la résiliation extrajudiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit.

 

[35]      Subsidiairement, l’appelante suggère que, même si elle n’a pas respecté la procédure prévue à l’article 13.03 b) du contrat, les circonstances en permettaient la résiliation extrajudiciaire.

[36]      Selon elle, le juge de première instance omet de se prononcer sur cette question puisqu’il estime que les parties ont contractuellement convenu d’écarter les règles du Code civil en prévoyant spécifiquement une procédure de résiliation.

[37]      Le reproche surprend dans la mesure où, lors de l’audience, l’appelante avait confirmé s’appuyer sur la procédure de résiliation prévue dans le contrat[18]. Cela étant, le juge mentionne clairement ce qui suit :

[275] Au surplus, dans l’optique d’une résiliation non judiciaire selon les dispositions précitées du C.c.Q., les défauts invoqués, tenant compte des faits et circonstances de cette affaire, n’ont pas non plus le degré de gravité requis.

[38]      En effet, sous réserve de son droit de le faire compte tenu de la procédure de résiliation prévue dans le contrat, l’appelante devait, si elle souhaitait se prévaloir du droit à la résiliation extrajudiciaire, établir que l’intimée était en demeure de plein droit d’exécuter son obligation.

[39]      Les conditions d’ouverture à la mise en demeure de plein droit sont énumérées à l’article 1597 C.c.Q.

[40]      L’appelante plaide que l’absence de mise en demeure se justifie dans un tel cas afin d’éviter de favoriser un débiteur fautif en exigeant du créancier qu’il transmette une mise en demeure alors qu’une telle procédure serait inutile. Elle s’appuie notamment sur les extraits suivants de l’arrêt Consultants AECOM inc. c. Société immobilière du Québec[19] :

[31] L’intimée a raison de dire que l’appelante a fait l’objet d’une résiliation extrajudiciaire avec mise en demeure de plein droit. La jurisprudence enseigne que la mise en demeure formelle n’est pas requise lorsque la partie dont le contrat est résilié connaît depuis plusieurs mois les reproches qu’on lui adresse, ce qui est le cas en l’espèce. L’insatisfaction de l’intimée quant aux services rendus par l’appelante a été dénoncée à cette dernière à de nombreuses reprises par l’intimée, tel qu’en fait foi la déclaration sous serment de M. Robert Topping notamment aux paragraphes 11, 12, 16 et 17. Ainsi, l’appelante a eu l’occasion de remédier à ses défauts et elle s’est montrée incapable de le faire.

 

[41]      L’appelante considère que l’intimée est en demeure de plein droit puisqu’elle était en défaut de manière répétée, qu’elle connaissait la nature de ces défauts et qu’elle a démontré être dans l’incapacité de les corriger.

[42]      Cette affirmation n’est pas soutenue par la preuve. L’appelante ne démontre pas en quoi le juge de première instance commet une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve lorsqu’il conclut que les reproches formulés à l’encontre de l’intimée ne justifiaient pas la résiliation du contrat.

[43]      L’intimée ne refuse certainement pas d’exécuter ses obligations. Au contraire, tout démontre qu’elle tente, en ce début de contrat, de s’adapter aux diverses exigences de l’appelante, dans un contexte où il est manifeste que celle-ci aurait préféré adjuger le contrat à IM.

[44]      La résiliation survient alors que le contrat est à ses débuts et que les attentes de part et d’autre doivent être clarifiées. Il ne saurait être question de résiliation extrajudiciaire alors que le juge conclut que l’intimée n’est pas en défaut.

[45]      Contrairement à ce que plaide l’appelante, le juge de première instance n’a pas retenu que le contrat était silencieux quant à la qualité de la numérisation. Il a plutôt constaté que les normes contractuelles étaient ambiguës et ne permettaient pas de conclure à un manquement de la part de l’intimée. L’appelante elle-même reconnaît cette ambiguïté puisqu’elle tente de préciser ses attentes en référant à un énoncé des travaux préparé par IM dans le cadre du Contrat H-13 et aux normes de la BAnQ. Or, comme noté par le juge de première instance, ces documents ne font pas partie du contrat intervenu entre les parties. L’appelante ne peut donc reprocher à l’intimée de ne pas avoir respecté ces normes.

[46]      Au surplus, le ratio d’anomalies calculé par l’appelante donne une vision distordue de la qualité des travaux exécutés. En effet, cette dernière estime que le taux d’erreur est de 30 % en se basant sur le nombre de dossiers numérisés où elle note une erreur. Ainsi, si un dossier de 3500 pages contient une seule page comportant un défaut, le dossier entier est catégorisé comme étant non conforme[20]. L’intimée a plutôt établi, selon la preuve retenue par le juge, un ratio d’erreur de 0,02 % en comparant le nombre d’erreurs au nombre total d’images[21]. Or, le contrat n’exige pas la perfection du premier coup puisqu’il prévoit spécifiquement la reprise de la numérisation des pages comportant des erreurs. Le juge souligne au surplus l’amélioration de la qualité de la numérisation après que l’appelante se fut plainte de la qualité de certaines images[22]. Il ne commet donc aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour en concluant que la qualité de la numérisation n’était pas déficiente au point de justifier la résiliation du contrat, et encore moins sa résiliation extrajudiciaire.

[47]      L’appelante est également préoccupée par la capacité de l’intimée à respecter les délais prévus dans le contrat. Elle s’inquiète du rythme sous-optimal de numérisation.

[48]      Le contrat prévoit que l’intimée doit numériser un certain volume avant des dates butoirs établies spécifiquement pour chaque hôpital. Ces dates sont encore lointaines et il appartenait à l’intimée de prendre les moyens requis pour respecter ces dates, qui ont incidemment été modifiées par l’appelante après le début du contrat. 

[49]      Le contrat est toujours au stade du démarrage puisqu’à peine deux mois se sont écoulés depuis la mise en production. Les plaintes ponctuelles concernant la qualité de la numérisation de certaines pages et les mesures mises en place par l’appelante pour contrôler la qualité ont, selon la preuve, un impact sur le rythme de production. L’intimée tente de s’ajuster à cette réalité et tout indique, au moment de la résiliation, qu’elle entend faire le nécessaire pour respecter les délais prescrits. Le juge de première instance a donc eu raison ici aussi de conclure que la résiliation du contrat pour ce motif était prématurée.  

[50]      Reste le troisième motif, soit le traitement des demandes urgentes. Rappelons que les dossiers faisant l’objet du contrat sont des dossiers fermés, qui concernent principalement des personnes décédées et qui sont donc moins susceptibles que les dossiers visés par le Contrat H-13 de faire l’objet de demandes urgentes.

[51]      Le contrat prévoit simplement ce qui suit en ce qui concerne les demandes urgentes : « Lorsque requis, rendre disponible l’information d’un dossier patient par télécopie ou par numérisation dans un délai maximum de 30 minutes pour une demande urgente. ».

[52]      Or, la preuve démontre que l’appelante exige qu’à l’intérieur d’un délai de 30 minutes, l’intimée identifie l’information pertinente et lui transmette par télécopieur les extraits du dossier. Celle-ci reconnaît ne pas avoir été en mesure de satisfaire à ces exigences à certaines occasions. Elle explique que ses employés n’ont pas la compétence requise pour repérer les pages visées dans un dossier qui peut en contenir plusieurs milliers et que le seul envoi par télécopie nécessite parfois plus de trente minutes en raison des limitations inhérentes à ce moyen technologique. Elle propose donc de numériser l’entièreté du dossier afin de le transmettre à l’hôpital dans le délai prescrit. Cette suggestion est rejetée par l’appelante.

[53]      Le juge de première instance conclut que l’appelante ne peut se plaindre de la situation puisqu’elle a elle-même modifié les conditions d’exécution du contrat. En effet, rien dans la clause n’oblige l’intimée à repérer les informations pertinentes. Au surplus, il est spécifiquement prévu que les dossiers peuvent être transmis sous forme numérique. La proposition de l’intimée semble donc respecter les exigences du contrat.

[54]      L’appelante n’a donc pas démontrer que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant à l’absence de motifs de résiliation ou, à tout le moins, en retenant qu’ils n’étaient pas suffisamment graves et répétitifs pour justifier une résiliation extrajudiciaire. Ainsi, rien ne permet à la Cour d’intervenir quant à sa conclusion voulant que la résiliation ait été illégale.

POUR CES MOTIFS, LA COUR:

[55]      REJETTE l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

Me Luc De La Sablonnière

Me Vincent St-Pierre

Me Nicolas Déplanche

MORENCY, SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Pour l’appelante

 

Me Louis Carrière

Me Roxanne Hamel-Bouchard

FASKEN, MARTINEAU

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

16 novembre 2021

 



[1]    Theodore Azuelos consultants en technologies (TACT) inc. c. CHU de Québec - Université Laval, 2020 QCCS 1793 [Jugement entrepris].

[2]    Il ressort de la demande introductive d’instance de l’appelante que la résiliation se fonde sur l’article 13.03 du Contrat lequel précise :

Le Contrat peut être résilié par l’ORGANISME PUBLIC sur préavis écrit, sans préjudice à tous ses droits et recours, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) si le PRESTATAIRE DE SERVICES ne respecte pas l’une des obligations du Contrat et que le défaut n’est pas corrigé dans les cinq (5) jour(s) suivants un avis écrit décrivant la violation ou le défaut.

[3]    Jugement entrepris, paragr. 205 à 211.

[4]    Jugement entrepris, paragr. 214.

[5]    Jugement entrepris, paragr. 219.

[6]    Jugement entrepris, paragr. 224.

[7]    Jugement entrepris, paragr. 231.

[8]    Jugement entrepris, paragr. 237.

[9]    Jugement entrepris, paragr. 248-249.

[10]    Jugement entrepris, paragr. 253-256.

[11]    Jugement entrepris, paragr. 257.

[12]    Jugement entrepris, paragr. 261.

[13]    Jugement entrepris, paragr. 263-265.

[14]    Jugement entrepris, paragr. 269.

[15]    Jugement entrepris, paragr. 273.

[16]    Jugement entrepris, paragr. 275.

[17]    Vincent Karim, Les obligations, vol. 2, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, paragr. 1763.

[18]    Jugement entrepris, paragr. 191 et s.

[19]    Consultants AECOM inc. c. Société immobilière du Québec, 2013 QCCA 52.

[20]    Jugement entrepris, paragr. 235-236.

[21]    Jugement entrepris, paragr. 238.

[22]    Jugement entrepris, paragr. 237.